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24 octobre 2009

Dans les pas de John Lennon

C’est arrivé près de chez vous, en 1969, John Lennon et Yoko Ono traversaient le périphérique pour faire un tour aux puces de Saint-Ouen. Immortalisé par Henry Pessar, une série de photo témoigne de cette conciliation entre de mornes paysages de banlieue et cet instant de célébrité.


Le couple semble à l’aise dans ce milieu urbain, populaire. Peut être faut il y voir là une simple affirmation étymologique de la musique pop, que le leader des Beatles à si profondément forgé. Mais peut-on imaginer de nos jours une visite sans misérabilisme ou condescendance de Madonna ou Muse dans un quartier de Bombay, ou tout simplement dans la périphérie de Londres ?


Non, c’est très peu probable voire impensable. Pourtant les paysages urbains se sont développés depuis de manière considérable. Pourtant, d’autres personnalités ont cherché à rendre compte de ces situations métropolitaines, telles Jean Rolin dans son roman La Clôture paru en 2002 :

« Que l’on sorte du Relais du Pont ou de la Chope de l’Est, il n’y a que quelques pas à faire pour se retrouver sur le pont auquel le premier doit son nom. En dessous passent les voies de la gare de l’Est, sur la gauche la tour Daewoo dresse au-dessus de la porte de la Villette sa masse parallélépipédique, sur la droite la vue porte au loin sur les confins de Pantin et de Bobigny. A mi-hauteur du remblai, du côté de la gare de Pantin, pousse un cerisier exceptionnellement vigoureux et brièvement couvert de fleurs au mois d’avril. De l’autre côté des voies, une porte métallique, souvent laissée ouverte par inadvertance, dissimule un escalier interdit au public menant à un quai tombé en déshérence et planté de rosiers à fleurs rouges. »

Jean Rolin, La Clôture, POL, 2002, p.74.

Certains praticiens ont aussi consacré toute leur attention aux mutations des villes et de leurs banlieues. Ainsi le paysagiste Michel Corajoud décrit le projet simple d’une allée à Aulnay-sous-bois. Suivons le donc dans cette considération du paysage péri-urbain.

« Je dessine en ce moment la ligne droite d'un chemin sur le travers d'une pente douce. Nous sommes en plein champ, sur un lambeau de la plaine de France, territoire du futur parc du Sausset. Chaque matin, pour rejoindre la gare de Villepinte, isolée sur la plaine, les travailleurs de la cité d'Aulnay empruntent un raccourci de terre battue. Le tracé de la sente coupe court et vise au plus juste la gare, là-bas, à six cents mètres. Cependant, la ligne hésite et s'infléchit trois fois, gauchie par d'imperceptibles dépressions. Les jours de pluie, la terre argileuse se détrempe et tous marchent dans la boue. On me demande de faire, sans attendre, le projet d'un chemin plus confortable sans pour cela détruire l'ancien sentier qui doit vivre le temps des travaux. Le travail paraît simple, le jeu des pentes est infime, le parcours sans accident. Mais pour que le trait soit juste, pour que l'assiette du chemin donne à la rondeur du champ la meilleure réponse, il faut un travail minutieux, le paysage est à ce prix.

J'aurais pu, par je ne sais quel sentiment respectueux, faire le mime du premier sentier, faire artificiellement projet de l'usure hésitante du sol par le pied. Mais c'est au niveau des modes de constitution qu'apparaissent les différences entre la sente précaire façonnée par le passage et l'ouvrage pérenne d'un chemin; différence entre tracé et construction. L'un est totalement soumis aux accidents du relief, il épouse, à chaque instant, le sol dont il polarise la surface, il n'a pas d'autre choix que celui de négocier dans l'espace la ligne la plus efficiente de son tracé. L'autre, pour durer doit acquérir de la consistance, être fondé. Il faut retrousser la couche de terre végétale, trop active pour être stable, chercher l'assise d'un substrat plus inerte pour reconstituer ensuite, par couches successives, un sol nouveau avec des matériaux dont l'agencement des grains donne de la compacité. Ce travail dans l'épaisseur, cette édification amenuise l'effet des caprices du sol d'origine. Le chemin construit s'affranchit des contingences, l'ouvrage rectifie et absorbe dans son assise le futile et l'accidentel.

Sur cette plaine caractérisée par l'insignifiance générale des accents, le travail de fondation peut, à lui seul, à chaque pas, sans brutalité, ni blessure, compenser creux et bosses. Le premier sentier trouvait son équilibre en jouant sur l'étendue, 1e chemin nouveau, lui, s'égalise par encaissement. Il peut en tous points tenir sa ligne et rien n'explique qu'il n'aille pas droit. La direction est prise mais d'autres contraintes apparaissent. Pour durer, le chemin doit maintenir son état de surface, les grains de calcaire qui le ferment ne résistent pas à l'érosion. La pente est ici transversale, et si l'on n'y prend pas garde, les eaux de pluie traversant l'assiette du chemin le destinent à la ruine. Il faut à nouveau faire acte d'autorité en contrariant la pente et en creusant, en amont, le fossé qui collecte les eaux. De cette nécessité d'affranchir la plate-forme du régime général des écoulements, s'établit entre les incitations du terrain et les exigences de l'ouvrage une sorte d'exacerbation dont je dois faire œuvre. De rectification en rectification, je négocie avec le sol la résistance et le confort du chemin et je choisis l'exacte amplitude du trait qui s'affirme et fait saillie sur le versant. En équilibrant les profils, j'ai mis l'accent sur l'indolence d'un champ.

Pour que l'ombre accompagne le trajet je pense à deux lignes de tulipiers. Le chemin en régularisant son emprise a laissé les accotements en désordre et la plantation des arbres ne peut en aucun cas corriger ce tumulte. Il faut savoir, en effet, qu'un arbre désigne, dans sa forme même, l'endroit exact où doit s'enterrer le chevelu des racines. Ce renflement à la base du tronc s'appelle le collet. Ces tulipiers, préparés ensemble en pépinière depuis plusieurs années, sont destinés à suivre un même développement et le fait de les aligner impose, qu'à terme, ils reconduisent sur le ciel la ligne régulière du chemin; donc qu'ils pénètrent le sol à des niveaux comparables. Nouveau travail de compensation entre une rive et l'autre et dans la ligne même du mail. La terre végétale extraite, tout à l'heure, pour construire la fondation, servira ici à mettre en œuvre, tous les cinq mètres, de faibles mamelons portant les arbres en déclive à leur juste niveau.

J'ai choisi cet exemple modeste, cette œuvre élémentaire pour parler de mon métier parce qu'un chemin charpente le paysage et qu'il mobilise pour sa construction, le maximum de savoir et de sensibilité. Le champ, abandonné par la culture se réactive soudain. Cette ligne nouvelle qui assure la navette quotidienne de ceux qui partent d'Aulnay travailler à Paris, préfigure le paysage de demain; et parce qu'elle fut bien travaillée, elle lèvera à chaque pas le souvenir du sol ancien. La vivacité du champ efface déjà la trace fragile de l'ancien sentier, la plaine est encore perceptible, mais tout a changé. »

Un chemin du Parc du Sausset, Texte publié dans la revue "POUR", N°89 Mai-Juin 1993


Voir :
http://corajoudmichel.nerim.net/
http://www.marchebiron.fr/

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